RML
Pourquoi je vous parle d’autofiction ?
Eh bien, parce que j’en écris.
Pourquoi je vous parle d’autofiction dans la littérature gay ?
Eh bien, parce que je suis gay. Donc, bien malgré moi, j’écris de la littérature gay.
Bon.
C’est quoi l’autofiction ?
L’autofiction est un genre littéraire hybride qui mêle autobiographie et fiction, ou dit autrement, un genre qui se situe à la croisée entre l’autobiographie et le roman.
La plupart du temps, on l’appelle récit, chronique ou parfois même roman. Dans tous les cas, il s’agit de littérature, en cela qu’il se distingue de l’autobiographie simple ou du témoignage.
Pourquoi ?
Parce que, dans l’autofiction se mêlent la fiction (qui est imaginaire) et l’autobiographie (qui est réelle). Il est parfois difficile de départager les deux, et plusieurs auteurs en usent d’ailleurs différemment : pour certains, la fiction naît de la narration de faits strictement réels ; pour d’autres, la fiction est une extrapolation imaginaire à partir de faits réels.
Dans tous les cas, les auteurs explorent leur propre vie à travers un prisme fictif. Ils sont le sujet même de la fiction. Là encore, il y a des nuances : pour certains, l’emploi strict du « je » est la norme ; pour d’autres, le narrateur peut être un avatar de l’auteur, et l’apparition du « il », voire du « elle », ne perturbe pas le genre.
Pourquoi l’autofiction se retrouve-t-elle abondamment dans la littérature gay ?
Historiquement, la minorité gay (et plus largement LGBTQIA+) ne se retrouvait représentée nulle part. La fiction romanesque majoritaire leur était fermée (et le reste aujourd’hui partiellement). L’autofiction a permis aux auteurs d’interroger leur identité, leur sexualité, d’aborder parfois des thèmes politiques ou confidentiels, au travers du prisme de l’intimité et de leur expérience personnelle.
Cette intimité et cette expérience restant minoritaires, elles se construisent dans une friction permanente avec la norme, d’où le sentiment, chez beaucoup d’auteurs, d’une porosité entre le réel (la norme) et la fiction (leur propre réalité).
L’autofiction est un terme inventé par l’écrivain Serge Doubrovsky en 1977 pour décrire son roman Fils. Il est issu de la fusion du préfixe « auto » (soi-même) et du mot « fiction ». Doubrovsky la définit alors comme « une fiction d’événements et de faits strictement réels ».
Il s’agit de revendiquer un genre littéraire qui combine des éléments autobiographiques et fictifs, permettant de raconter le réel tout en intégrant des éléments inventés.
Plus largement, c’est la frontière entre réalité et fiction qui est interrogée, par l’utilisation de la première personne, la modification de détails biographiques, et l’intégration de personnages et d’événements fictifs.
À noter que le genre a aussi était utilisé par Marguerite Duras dans nombre de ses romans. Mais aussi par Colette en 1928, dans son livre La Naissance du jour, considéré comme un écrit précurseur du genre. Il en va de même de l’œuvre de Proust.
Plusieurs auteurs ont marqué l’histoire de l’autofiction gay par leurs œuvres aventureuses et introspectives. Parmi eux, j’ai choisi d’en citer trois :
– Hervé Guibert : Cet écrivain français est passé à la postérité avec sa trilogie sur le Sida (À l’ami qui ne m’a pas sauvé la vie, Le Protocole compassionnel, l’homme au chapeau rouge), écrite dans un laps de temps très court et qui traite de sa vie avec le VIH/SIDA. Mais son œuvre antérieure n’est qu’une déclinaison de toutes les formes d’autofiction, où Guibert passe du « je » au « il », utilise des pseudonymes, parfois ses initiales, sans cesse brouillant la limite entre réel et fiction, dans une permanente réinvention de lui-même. Son roman, Fou de Vincent, est un magnifique exemple de ce travail : tout nous est présenté comme un récit autobiographique, voire un journal, et pourtant, tout semble relever du romanesque.
– Guillaume Dustan : Ses trois premières œuvres (Dans ma chambre, Je sors ce soir, Plus fort que moi), il va les qualifier lui-même d’autopornographiques. Il récuse le terme d’autofiction au sens strict, estimant que son écriture ne relève pas du roman, mais d’un dévoilement sans fard de sa propre vie, où la fiction ne sert qu’à intensifier la vérité de l’expérience vécue. Il construit un discours politique autour de sa sexualité, et cherche à donner une lisibilité nouvelle à des expériences marginalisées. Dans les années 1990, son œuvre a pu faire scandale par son côté sulfureux et l’exposition d’une sexualité débridée, adepte du « bareback » (sexe sans protection) dans une décennie où le Sida faisait encore des ravages. Son œuvre a été récemment redécouverte et est présentée comme un classique de l’autofiction performative.
– Yves Navarre : Cet auteur français lauréat du prix Goncourt en 1980 avec Le Jardin d’acclimatation a également contribué au genre de l’autofiction avec des œuvres comme Biographie (1981), Lady Black (1971) ou le Temps voulu (1979). Son autofiction est marquée par une forte dimension affective. Plutôt que de s’attarder sur sa sexualité ou la vie gay en général, il explore le sentiment et le mal être, conférant à ses romans une grande intensité émotionnelle. Il travaille beaucoup sur l’idée que la mémoire la plus sincère crée elle-même de la fiction. Le Temps voulu, et Kurwenal ou la part des êtres creusent particulièrement l’intimité émotionnelle, à tel point que l’auteur parvient à donner à sa propre mémoire un caractère universel.
L’autofiction gay a eu un impact sur la représentation et la visibilité des expériences LGBTQ+ dans la littérature. Elle aborde souvent des thèmes récurrents, tels que l’identité, la sexualité, la maladie (notamment le VIH/SIDA), et la quête de soi. En permettant aux auteurs de raconter leurs propres histoires tout en intégrant des éléments fictifs, l’autofiction gay a contribué à donner une voix aux expériences et aux perspectives queers. Ce genre a également influencé la littérature contemporaine, inspirant de nombreux écrivains à explorer des thèmes similaires et à repousser les frontières entre réalité et fiction.
L’autofiction gay continue d’évoluer avec de nouveaux auteurs qui explorent ce genre hybride. On peut citer :
– Edmund White : Bien que non mentionné dans les résultats de recherche, Edmund White est un autre auteur notable dans le domaine de l’autofiction gay. Ses œuvres souvent autobiographiques montrent la vie de la communauté gay américaine en y introduisant une dose d’humour et de dérision.
– Paul B. Preciado : Cet auteur utilise l’autofiction pour explorer des thèmes liés à l’identité de genre et à la sexualité. Son œuvre Testo Junkie est un exemple marquant de l’autofiction gay contemporaine et un marqueur pour toute une génération. Preciado fait de l’autofiction un étendard politique et militant. Il ne choisit pas délibérément l’autofiction, mais déclare qu’il ne peut pas prendre un point de vue universel puisque son histoire est « située ».
– Philippe Besson : devenu une valeur sûre en librairie, il parle, dans beaucoup de ses romans, de ses amours de jeunesses, de ses ruptures ou rencontres, dans un style direct et sensible qui lui ont valu le succès.
– Édouard Louis : il s’oriente plutôt vers l’autofiction sociale. Dans ses premiers romans, il décrit comment se construit une identité gay dans un milieu ouvrier marqué par la violence sociale et l’homophobie.
L’autofiction dans la littérature gay a encore de beaux jours devant elle. Je dirais même que le genre est inépuisable. L’autofiction est même devenue un pilier de la littérature générale en opposition à la littérature de fiction de divertissement. Beaucoup d’autrices et d’auteur revendiquent aujourd’hui cette mise en scène de l’expérience personnelle pour l’opposer à la fiction pure industrialisée par le cinéma et la production audiovisuelle. Un vaste débat…