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Mon roman, un « page turner » ? Mais c’est une autofiction sur une rupture annoncée !
Quand ma première lectrice m’a dit : « J’ai lu ton livre quasiment d’une traite, c’est un vrai page turner », j’ai éclaté de rire. Un page turner, mon autofiction sur une séparation dont on connaît la fin dès la première page ?
Et, j’ai gardé ça pour moi, car sinon j’aurais eu l’air encore plus bête, mais je ne savais pas vraiment ce qu’était un « page turner ». Oui, je comprenais ce que ça voulait dire en anglais, mais je n’en étais pas sûr.
Après une rapide recherche, trois mots semblaient déterminer la définition d’un « page turner » : suspense, rebondissements et rythme effréné.
Pourtant, mon livre n’a ni meurtre à élucider ni course-poursuite. Juste deux hommes, une histoire d’amour qui se défait, et une issue connue d’avance. Alors, pourquoi cette assignation ?
Quand on pense à un page turner, on pense de suite à un certain genre littéraire. Les polars et les thrillers s’y taillent la part du lion. Bon, une fois que je me suis dit ça, je me rends bien compte qu’il s’agit d’un cliché. Ne pouvons-nous être addicts à la page qui vient que dans ces deux genres littéraires ? Bien sûr que non.
Un page turner, c’est d’abord un livre qui crée du désir. Pas forcément du suspense, mais une tension — qu’elle soit émotionnelle, intellectuelle ou esthétique. Et il y a beaucoup de livres qui produisent cet effet. En fait, tous les livres que tu aimes.
Pour moi, un page turner, c’est un livre qui t’habite. Qui te fait lever les yeux de la page en te disant : « Et moi, alors ? »
C’est, de fait, la question que je me suis posée. Bien sûr, j’ai pris cette qualification pour un compliment — ce que c’était —, mais ça ne me suffisait pas. Je devais comprendre le processus en œuvre chez ma lectrice.
Je me suis mis à formuler trois hypothèses !
À peu près tout. D’abord, parce que j’ignorais que j’étais capable d’écrire ainsi. Ensuite, parce que ça m’interroge pour la suite.
Alors, mon éclat de rire devant ma lectrice s’est transformé en réflexion. Sur moi, sur la vie, sur le monde. Et sur l’intimité que je crois aujourd’hui, plus que jamais, politique. Écrire sur l’intimité, c’est le dernier espace pour tenter de déchiffrer nos aberrations, nos contradictions, nos errances. Un espace restreint, mais épique.
Alors, dis-moi : quel est le dernier livre « sans suspense » qui t’a tenu éveillé jusqu’à 3 h du matin ?
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« Ils étaient tous les deux debout dans le salon, l’un en short et tee-shirt, l’autre en pyjama, deux aventuriers de Koh-Lanta du quotidien. Il était deux heures du matin. Stéphane prit Paul dans ses bras, comme un petit frère ou un enfant, et le serra fort. Il trouvait cette émotion nocturne très touchante dans sa sincérité, mais aussi très bête dans le fond. Il lui expliqua qu’on ne quitte pas les gens parce qu’on ne se couche pas à la même heure, qu’il n’allait pas partir et que, si cela devait arriver, il le saurait, car il lui en aurait parlé, et que c’était comme ça dans les couples, parfois on ne fait pas toujours les choses dans un temps synchronisé. Il avait l’impression d’expliciter la vie à un enfant de six ans. Paul en avait quarante. »
Extrait de La chasse à la biche à Compiègne.