Un page turner, vraiment ?

RML

6 décembre 2025

Mon roman, un « page turner » ? Mais c’est une autofiction sur une rupture annoncée !

L’étonnement

Quand ma première lectrice m’a dit : « J’ai lu ton livre quasiment d’une traite, c’est un vrai page turner », j’ai éclaté de rire. Un page turner, mon autofiction sur une séparation dont on connaît la fin dès la première page ?

Et, j’ai gardé ça pour moi, car sinon j’aurais eu l’air encore plus bête, mais je ne savais pas vraiment ce qu’était un « page turner ». Oui, je comprenais ce que ça voulait dire en anglais, mais je n’en étais pas sûr.

Après une rapide recherche, trois mots semblaient déterminer la définition d’un « page turner » : suspense, rebondissements et rythme effréné.

Pourtant, mon livre n’a ni meurtre à élucider ni course-poursuite. Juste deux hommes, une histoire d’amour qui se défait, et une issue connue d’avance. Alors, pourquoi cette assignation ?

Qu’est-ce qu’un page turner ?

Quand on pense à un page turner, on pense de suite à un certain genre littéraire. Les polars et les thrillers s’y taillent la part du lion. Bon, une fois que je me suis dit ça, je me rends bien compte qu’il s’agit d’un cliché. Ne pouvons-nous être addicts à la page qui vient que dans ces deux genres littéraires ? Bien sûr que non.

Un page turner, c’est d’abord un livre qui crée du désir. Pas forcément du suspense, mais une tension — qu’elle soit émotionnelle, intellectuelle ou esthétique. Et il y a beaucoup de livres qui produisent cet effet. En fait, tous les livres que tu aimes.

Pour moi, un page turner, c’est un livre qui t’habite. Qui te fait lever les yeux de la page en te disant : « Et moi, alors ? »

Pourquoi mon roman a-t-il été qualifié ainsi ?

C’est, de fait, la question que je me suis posée. Bien sûr, j’ai pris cette qualification pour un compliment — ce que c’était —, mais ça ne me suffisait pas. Je devais comprendre le processus en œuvre chez ma lectrice.

Je me suis mis à formuler trois hypothèses !

  • L’hypothèse de l’intimité. Peut-être que le suspense n’est pas dans « que va-t-il se passer ? », mais plutôt dans « comment le héros va-t-il le vivre ? » Les lecteurs s’accrochent aux détails concrets (un regard, un silence, un objet symbolique, le décorum de la scène) comme à des indices. Ces indices recréent la sensation d’une enquête, d’un cheminement vers la vérité (même si on ne la cherche pas vraiment), cette vérité qui serait l’intimité du héros.
  • Le rythme invisible : Cette enquête produit un rythme invisible en procédant pas à pas, marche après marche, comme on monte un escalier. J’ai écrit ce livre sans précipitation, en détaillant chaque étape. Pourtant, certains m’ont dit « ne pas pouvoir le lâcher ». Est-ce l’effet des chapitres courts, symbolisant chaque étape de l’enquête ?
  • L’identification : Une rupture, c’est une histoire que tout le monde connaît — mais personne ne l’a vécue comme ça. C’est ce « comme ça » qui fascine. Ce « comme ça », qui ressemble à son histoire, mais s’en écarte beaucoup. L’effet d’addiction du lecteur se produit dans cette différence entre ce qu’il reconnaît et ce qu’il découvre.

Ce que ça change pour moi, en tant qu’auteur

À peu près tout. D’abord, parce que j’ignorais que j’étais capable d’écrire ainsi. Ensuite, parce que ça m’interroge pour la suite.

  • Une révélation sur mon écriture : Ce retour m’a appris que je pouvais créer de l’addiction sans artifice. Que ma force était peut-être là : dans l’honnêteté crue, sans affects ni postures.
  • Un défi pour la suite : Maintenant, la question se pose : et si mon prochain roman n’était pas un page turner? Si cette première tentative était le fruit du hasard ? Si je ne parvenais plus à atteindre cette honnêteté ? Si je trahissais ce qui fait peut-être ma voix ?
  • Le mot de la fin revient aux lecteurs : vous m’avez montré que les clichés sont tenaces, et que les étiquettes sont des pièges. Un livre peut être lent et haletant, intime et universel. Comme la vie, en somme.

Et si le vrai suspense était dans la vie elle-même ?

Alors, mon éclat de rire devant ma lectrice s’est transformé en réflexion. Sur moi, sur la vie, sur le monde. Et sur l’intimité que je crois aujourd’hui, plus que jamais, politique. Écrire sur l’intimité, c’est le dernier espace pour tenter de déchiffrer nos aberrations, nos contradictions, nos errances. Un espace restreint, mais épique.

Alors, dis-moi : quel est le dernier livre « sans suspense » qui t’a tenu éveillé jusqu’à 3 h du matin ?

Tu peux le placer en commentaire sur le blog

« Ils étaient tous les deux debout dans le salon, l’un en short et tee-shirt, l’autre en pyjama, deux aventuriers de Koh-Lanta du quotidien. Il était deux heures du matin. Stéphane prit Paul dans ses bras, comme un petit frère ou un enfant, et le serra fort. Il trouvait cette émotion nocturne très touchante dans sa sincérité, mais aussi très bête dans le fond. Il lui expliqua qu’on ne quitte pas les gens parce qu’on ne se couche pas à la même heure, qu’il n’allait pas partir et que, si cela devait arriver, il le saurait, car il lui en aurait parlé, et que c’était comme ça dans les couples, parfois on ne fait pas toujours les choses dans un temps synchronisé. Il avait l’impression d’expliciter la vie à un enfant de six ans. Paul en avait quarante. »

Extrait de La chasse à la biche à Compiègne.

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